Étude théologique de Matthieu 5.7
1. Contexte et structure
Matthieu 5:7 s’inscrit dans les Béatitudes (Matthieu 5:3-12), qui ouvrent le Sermon sur la Montagne. Ces déclarations programmatiques de Jésus décrivent les caractéristiques des citoyens du Royaume de Dieu et les bénédictions qui leur sont promises. Chaque béatitude suit une structure : une condition (« heureux ceux qui… ») et une conséquence (« car… »). Matthieu 5:7 met l’accent sur la miséricorde comme vertu centrale et sa récompense divine.
Le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5-7) est une charte éthique et spirituelle du christianisme, adressée aux disciples de Jésus, mais aussi à la foule (Matthieu 5:1-2). Les Béatitudes ne sont pas des impératifs, mais des descriptions des qualités de ceux qui vivent selon les valeurs du Royaume.
2. Analyse du texte
a) Les miséricordieux
Le terme grec pour « miséricordieux » est eleēmōn (ἐλεήμων), dérivé de eleos (ἔλεος), qui signifie miséricorde, compassion ou pitié. Dans la Septante (traduction grecque de l’Ancien Testament), eleos traduit souvent l’hébreu ḥesed, qui désigne l’amour fidèle, la bienveillance ou la miséricorde de Dieu envers son peuple (p. ex., Psaume 136). La miséricorde dans Matthieu 5:7 implique donc une attitude active de compassion, non seulement un sentiment, mais des actes concrets envers ceux qui souffrent, qu’il s’agisse de pauvres, d’opprimés ou de pécheurs.
Cette vertu reflète l’exemple de Dieu, dont la miséricorde est un attribut fondamental (Exode 34:6-7 ; Psaume 103:8). Jésus appelle ses disciples à imiter cette miséricorde divine, comme il le précise plus loin dans Matthieu 5:48 (« Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait ») et dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10:25-37), où la miséricorde s’exprime par une aide concrète.
b) Ils obtiendront miséricorde
La promesse « ils obtiendront miséricorde » indique une réciprocité, mais pas au sens d’une transaction humaine. La miséricorde divine n’est pas « méritée » par des actes humains, car elle est un don gratuit de Dieu (Éphésiens 2:8-9). Cependant, les Écritures établissent souvent un lien entre le comportement humain et la réception de la grâce divine. Par exemple, dans Matthieu 6:14-15, Jésus lie le pardon humain au pardon divin : « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi. »
Cette réciprocité reflète le principe de la mesure : « La mesure dont vous vous servez servira pour vous » (Matthieu 7:2). Les miséricordieux, en imitant Dieu, s’ouvrent à recevoir sa miséricorde, particulièrement dans une perspective eschatologique, lors du jugement final (Matthieu 25:31-46). La miséricorde humaine est ainsi une réponse à la miséricorde divine déjà reçue et un signe de la transformation opérée par le Royaume.
3. Thèmes théologiques
a) La miséricorde comme imitation de Dieu
Matthieu 5:7 souligne l’appel à refléter le caractère de Dieu. Dans l’Ancien Testament, la miséricorde est au cœur de l’alliance (Osée 6:6 : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice »). Jésus reprend cette idée en critiquant les pharisiens qui négligent la miséricorde au profit de la loi (Matthieu 9:13 ; 12:7). Être miséricordieux, c’est participer à la nature divine et vivre selon l’éthique du Royaume.
b) Une éthique relationnelle
La miséricorde n’est pas abstraite ; elle s’incarne dans des relations concrètes. Elle inclut le pardon (Matthieu 18:21-35), l’aide aux nécessiteux (Matthieu 25:35-40) et la compassion envers les pécheurs (Jean 8:1-11). Cette béatitude défie les attitudes de jugement ou de dureté, courantes dans les contextes religieux de l’époque, et promeut une communauté fondée sur l’amour et la solidarité.
c) Perspective eschatologique
La promesse de miséricorde a une dimension future. Dans la théologie de Matthieu, le jugement final est un thème récurrent (Matthieu 7:21-23 ; 25:31-46). Les miséricordieux recevront la miséricorde de Dieu, non comme une récompense méritée, mais comme une confirmation de leur appartenance au Royaume. Cette béatitude invite à vivre dès maintenant dans la lumière du jugement à venir.
4. Applications et implications
- Pour le croyant : Matthieu 5:7 appelle à une vie de compassion active, qui transcende les barrières sociales, culturelles ou religieuses. Cela inclut des actes de charité, mais aussi une attitude de cœur qui refuse de condamner ou de marginaliser.
- Pour la communauté : Cette béatitude promeut une Église caractérisée par la miséricorde, où les membres s’entraident et accueillent les exclus. Elle défie les structures de pouvoir ou d’exclusion.
- Dans le monde : Dans un contexte de polarisation ou d’injustice, Matthieu 5:7 invite à des actions concrètes pour soulager la souffrance, qu’elle soit physique, émotionnelle ou spirituelle.
5. Comparaison avec d’autres textes
- Ancien Testament : Osée 6:6 et Michée 6:8 (« Ce que l’Éternel demande, c’est que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde ») soulignent la priorité de la miséricorde sur les rituels.
- Nouveau Testament : Luc 6:36 (« Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux ») paraphrase Matthieu 5:7, tandis que la parabole du serviteur impitoyable (Matthieu 18:23-35) illustre les conséquences de l’absence de miséricorde.
- Pères de l’Église : Saint Augustin, dans ses commentaires sur les Béatitudes, voit la miséricorde comme une préparation au don de soi total à Dieu. Jean Chrysostome insiste sur son caractère pratique, comme donner aux pauvres ou pardonner.
6. Conclusion
Matthieu 5:7 est une invitation à incarner la miséricorde divine dans un monde marqué par la dureté et l’injustice. Les miséricordieux, en imitant Dieu, deviennent des témoins du Royaume et s’ouvrent à la miséricorde eschatologique. Cette béatitude unit théologie, éthique et espérance, appelant les disciples à une vie transformée par la compassion. Elle reste pertinente aujourd’hui, défiant les chrétiens à être des agents de miséricorde dans leurs communautés et au-delà.
Commentaires